Les Paroles (in)Discrètes...

Je suis sortie samedi. J'ai laissé le Ptit Loup à son père et je m'en suis allée, fardée, sourire aux lèvres, lécher les vitrines.
Tout le monde m'a dit "Ca t'a fait du bien non de prendre du temps pour toi? De sortir un peu?". J'ai répondu que oui, qu'aller faire un tour chez Sephora m'offrir mon baume chéri m'avait fait un bien fou, qu'il ne fallait pas que je me perde de vue, que prendre un peu de temps pour moi c'est super important.

La vérité? Je ne suis sortie qu'une heure. Devant mes yeux ça tourbillonnait, trop de vie, trop de monde.
Je ne savais plus où mettre les pieds, comment remuer, basculer mon bassin pour éviter cette foule pressée, comment jouer des coudes devant un stand bondé, quel article regarder dans quelle vitrine, comment ranger mon portefeuille d'une main tout en tenant mes paquets de l'autre?

Je me suis arrêtée et j'ai regardé.
Ces deux filles, rires tonitruants, têtes penchées sur un smartphone.
Cet homme tenant sa femme par la taille, lui parlant près de l'oreille.
Ce non-voyant guidé par son chien, tentant tant bien que mal de se frayer un chemin dans la foule. Foule qui ne le voit même pas, qui ne fait pas attention.
Ces cinquantenaires superbes, pleines de vie à la terrasse d'un café, superbes vraiment.
Ce jeune garçon, si beau, réclamant une pièce, un ticket resto, ou une cigarette peut-être.
Cette jeune femme tentant d'aborder quelqu'un, peu importe qui, pour lui parler de la cause qu'elle défend.
Ce vendeur, mine renfrognée, fumant sa clope le plus rapidement possible avant de retourner bosser, sourire forcé.

Oui, je me suis arrêtée et j'ai regardé toute cette vie.
J'ai déjà été une de ces filles riant la tête penchée sur un smartphone.
J'ai été cette femme tenue fermement par le bras de son homme.
Je n'ai pas fait attention à ce non-voyant guidé par son chien.
J'aimerais être une superbe cinquantenaire.
Je suis déjà passé devant ce si beau jeune garçon sans le voir.
J'ai déjà snobé cette jeune femme et sa cause.
J'ai moi aussi fumé ma clope, mine renfrognée avant de retourner bosser, sourire figé.

Je les regarde, je me revois et je me sens complètement à côté.

Décalée.